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axone

Magritte, le peintre, avait tout compris de la maladie d’Alzheimer et nous allons le démontrer.

Le monde se présente à nous et nous en saisissons des fragments grâce à nos sens.

Nous entendons ses sons, mais pas les ultra-sons.

Nous voyons ses formes, ses mouvements (mais pas ceux de l’illusionniste) et ses couleurs, mais pas les infra-rouges ni les ultra-violets, et notre vision nocturne est moins fine que celle de votre chat.

Nous sentons ses parfums, pas aussi bien que mon chien.

Nous le goûtons, mais seulement le salé, le sucré, l’acide et l’amer (et peut être le glutamate qui donne son goût particulier à la nourriture chinoise).

Nous le percevons à fleur de peau…mais seulement selon cinq ou six modalités qui ont chacune leur propre récepteur : le récepteur à la caresse n’est pas celui de la sensation du chaud et du froid.

Malgré tous ces petits handicaps nous percevons assez du monde qui nous entoure pour y vivre. Nous en percevons même beaucoup trop.

Nos sens perçoivent une telle profusion de détails que nous ne pouvons qu’en faire un résumé, décrire le monde « selon nous » : nous interprétons ce que nous voyons et nous construisons un scénario, une histoire de ce que nous avons vu. C’est cela que nous allons raconter.

Nous le raconterons d’abord à notre premier public : nous même. Et nous nous convaincrons que ce que nous racontons est La réalité : pourquoi pas ? C’est logique donc plausible donc « vrai ».

Plus tard nous le raconterons à nos proches et généralement c’est là que les ennuis commencent. En effet, l’Autre a étrangement une autre interprétation de la même scène…tout aussi logique ce qui est contrariant et aboutit dans le meilleur des cas au divorce et parfois aux guerres nucléaires.

Le travail de mémoire est donc une « représentation » du réel. Je me re-présente ce que j’ai perçu.

Scène, histoire, interprétation, représentation, quatre mots qui appartiennent au registre du théâtre.

La vie est donc un théâtre, certes sincère car je crois à ce que j’ai perçu et raconté, mais un théâtre quand même.

Que dire alors de ceux qui vivent dans un univers différent.

Pour le malade d’Alzheimer, ses perceptions sont correctes, il n’est ni sourd ni aveugle, mais les outils pour les interpréter sont tordus. De plus, ayant perdu sa mémoire, il ne souvient pas de son texte ! Et cette altération des instruments de la représentation est régulièrement, progressivement, évolutive.

C’est de cet univers dont nous allons parler.

Pour la vie sociale en général et pour un couple en particulier, vivre ensemble impose de se décentrer pour aller dans l’univers de l’Autre : c’est ce qu’on nomme l’empathie ou la compréhension par l’écoute. Atteint d’Alzheimer, monsieur (ou madame) ne peut aller vers l’Autre. Seul l’aidant peut faire ce chemin. Et ce chemin va l’entraîner loin de sa propre représentation du réel pour l’amener dans un univers étrange et étranger, celui d’une logique qui prend ses références dans un réel peuplé d’idées que nous ne comprenons pas, qui n’appartiennent pas forcément au domaine extérieur, des objets perçus, mais parfois à un monde intérieur de pensées, de rêves ou de cauchemars, impossibles à exprimer.

C’est la frontière de la neurologie qui, se voulant science, se contente de mesurer et de décrire, exigence de rigueur, nécessaire mais non suffisante.

La psychologie et la psychiatrie prennent le risque d’interprétations uniques des errements de chaque malade, mais  variables selon chaque école de psychiatrie et parfois selon chaque psychiatre...

En fait, ce sont les témoins directs qui donnent le plus d’éléments pour comprendre l’univers du malade. Ce Grand Témoin, c’est toi, lecteur patient.

Ce dont nos maîtres nous instruisirent sur les bancs de la faculté était juste. Tout juste. Quoique nombre de ces « vérités » affirmées par nos doctes professeurs, sur de solides arguments et une implacable logique, furent par la suite taxées d’erreurs.

Une vie passée au contact des patients, de leurs proches, nous a appris le reste et d’abord l’écoute dans la modestie.

Au-delà des savants savoirs, ce qui nous est demandé est de soigner, parfois pour guérir, toujours pour aider.

Les médicaments sont essentiels. Dans une époque déjà ancienne, au XXème siécle, ils ont tant éblouis les médecins qu’ils en ont oubliés que le patient n’était pas seulement le réceptacle des molécules mais aussi des être de chairs, interagissant avec d’autres êtres de chair (les proches). Alleluia, le XXI ème siècle est celui, pour paraphraser Malraux, de l’Esprit. Bien sur, il faut accepter la Vérité révélée nouvelle. Pythagore, voulant résumer le monde, affirmait « tout est nombre ». Les marxistes nous ont dit « tout est politique ». Les freudiens ont fredonné « tout est psy ». Les nouveaux « bourgeois gentilshommes » nous disent « tout est molécules », vive le dernier dieu à la mode : deo neuroscience ! Et l’Homme dans tout ça ?

Sans nier toutes ces vérités, il semble bien que « tout est théâtre ». Sauf bien sur ce que je décris dans la perception immédiate, par exemple ce livre que tu tiens entre tes doigts habiles, je te l’affirme, EST un livre. Si tu le décris demain à ton voisin ce ne sera plus un livre mais l’idée que tu te fais a posteriori de ce livre.

Ainsi, l’exprimait ce grand neurophysiologiste belge, Magritte, qui peint une pipe et écrit sur son tableau « ceci n’est pas une pipe ». Il dit au spectateur qu’il a sous les yeux le « représentation » d’une pipe.

Donc, Magritte avait tout compris.

105 mini[1]

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