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A partir d’observations sur les comportements des aidants ayant réussi à reformuler une histoire de vie réussie alors qu'ils prenaient en charge un malade Alzheimer, nous pouvons proposer des pistes pour aider malades et aidants malgré l’inéluctable évolution de cette terrible maladie.

Cette thérapeutique est comportementale et médicamenteuse pour faire émerger de la résilience dans le couple Alzheimer-aidant.

 

La maladie d'Alzheimer a quelques spécificités:
Incurable, elle est d’un déclin progressif émaillé de crises comportementales. Elle est donc variable mais non fluctuante!

Elle provoque une déchirure des modes relationnels rodés par des années de vie commune et imprégnés d'affectivité.

Elle est une dépendance physique mais aussi une maladie de l'ambivalence par l'excès de sollicitation de l’aidant mais souvent de sollicitation opposante.

Elle survient souvent à un age avancé, avec un aidant principal âgé, préoccupé par sa propre santé. L’éloignement des enfants, leur indisponibilité , ne permettent pas une prise en charge de leur parent malade. On soulignera l’extrême fragilité, la précarité de ces couples.

 

 

 

A la détresse des aidants, les médecins vont répondre, par de bonnes molécules mais aussi en ouvrant une voie, celle de la résilience. Au déclin prévisible des malades la résilience apportera un supplément de vie apaisée.

 

Les grands noms de la résilience sont Vulcain, Bill Gate, Daniel Cohn-Bendit, Boris Cyrulnik et ma voisine de palier.

 

Vulcain, dieu romain des forges et des volcans, est l’inventeur de la résilience. Initialement terme de métallurgie, la résilience est le calcul de la résistance d’un matériau à  la contrainte.

Pour Bill Gate et l’informaticien en général, c’est l’aptitude pour un système de fonctionner correctement malgré des failles.

Pour l’écologiste en général donc pour Dany le rouge en particulier, la résilience est la capacité de régénération, après agression, d’un écosystème. Les marées noires en Bretagne en sont un exemple.

Après Vulcain, Bill Gate et l’écologiste, le terme a été popularisé en médecine grâce aux travaux de Boris Cyrulnik chez les enfants, des orphelinats roumains et des rues de Bogota…

 

Enfin, ma voisine de palier est une héroïne du quotidien. Elle s’occupe de son mari atteint d’Alzheimer, avec une extraordinaire bonne humeur. Elle démontre donc la résilience en la pratiquant.


La résilience est une manière de trouver en soi des ressources pour restaurer les fonctions dans un environnement hostile. Elle tend vers un but : un meilleur vécu.

 

Alzheimer et dépendance : résilience

 

Posons en préalable la question : que veut dire « résilience » pour le couple Alzheimer-aidant?

 

La résilience est différente si elle parle du malade ou de l’aidant, mais elle passe par leur interface de représentation du monde, sur leur communication.

 

Dans les publications médicales universitaires l’aidant familial est très présent mais de façon formaliste. Il n’apparaît même pas comme un supplétif pour la prise en charge, laquelle est déléguée à des vrais « pros », psychologues, mais aussi musicothérapeutes, aromathérapeutes...[1] et parfois à des médecins, mais nécessairement « issus de centres experts »... La lumière venant d’en haut, les neurologues de terrain et les familles ne peuvent pas, c’est tellement évident, connaître le malade et sa maladie.

 

On se soucie, dans ces savantes publications, de l’aidant familial en parlant de manière vague et lointaine «d’aide aux aidants », aide sociale, soutien psychologique etc…mais on le juge inapte à participer aux prises en charge comportementales alors que c’est lui le vrai acteur, l’homme (ou la femme) de terrain.

 

L’aidant est, pour nous, au coeur de la prise en charge du malade dans un double but précis : agir sur les comportements du malade et favoriser la résurgence d’un peu de bonheur, autrement dit de la résilience, pour les deux partis.

 

La première cause d’institutionnalisation est l’intolérance de l’aidant aux comportements du malade. Cette intolérance témoigne d’un seuil de rupture à la pression.

 

L’étude PIXEL (2001) montre que la prise en charge au-delà de 50 mois est associée à un score de plaintes élevé de la part des aidants; ce sont les symptômes négatifs, repli sur soi et démotivation, qui l’emportent sur les symptômes positifs, agressivité ou déambulation[2].
Dans les faits ce sont les symptômes positifs qui amènent au placement en maison de retraite. Cette étude décrit les demandes exprimées par les aidants : des moyens de répit et une meilleure information sur l’évolution de la maladie. Pourtant, ce travail ignore qu’ils peuvent mieux assumer la prise en charge et donc ouvrir une voie vers moins de malheur, vers la résilience.

 

L’aidant résilient est un phénix. Après l’incendie de son projet de vie, il renaît de ses cendres, comme le minerai prend forme après fusion. Il prend en charge un dément, dépendant, sollicitant jusqu’au harcèlement, parfois opposant, à chaque instant, chaque jour de l’année, sans pause ni récréation.

 

Pour l’aidant, la résilience est une réponse positive au traumatisme de l’irruption de cette maladie dans son projet de vie. Les autres réponses sont le déni, la révolte ou la fuite. La résilience est une réparation. Elle impose la mentalisation, la symbolisation de cette nouvelle situation. C’est un processus dynamique qui  consiste à scénariser le traumatisme pour lui donner un sens. Il mobilise les ressources internes de l’aidant. Ceci est d’autant plus difficile que la démence déchire le lien entre les personnes.[3]

 

 

Peut-on mesurer la résilience ?

 

Chacun a pu observer des couples malade-aidant faire front, nourrir leur quotidien des manifestations d’une vraie affection et pratiquer une méthode de prise en charge propres à générer une vie plus harmonieuse.

 

Ces observations, si elles restent du domaine de la compilation d’anecdotes, même si on les juge emblématiques d’un processus, ne suffisent pas à affirmer que la résilience existe. C’est la critique qui est faite de la psychanalyse freudienne qui ne s’inscrit pas dans la démarche scientifique des faits reproductibles et ouverts au champ de la critique, tendant à généraliser à partir de faits isolés.

 

C’est en 1945 que l’OMS introduit la notion de « qualité de vie objective liée à l’état de santé ». 60 ans plus tard, les échelles de qualité de vie des aidants ne sont pas entrées en pratique courante, elles ne sont réalisées que dans des cadres institutionnels ou pour des études.

Dans notre domaine, l’échelle de Zarit évalue la charge ou le fardeau de l’aidant.

Pourtant, ainsi que l’a souligné le Pr. Pringuey dès 1995, ces notions subjectives de qualité de vie sont difficilement réductibles à une métrique[4]. Il n’est pas sur que les échelles actuelles soient adaptées au concept de résilience, elles surlignent les aspects négatifs et occultent la capacité de transmuter le plomb du malheur dans l’or du bonheur.

 

Une grande surprise de ce travail fut de constater que très peu de publications s’attachent à montrer le retentissement de la maladie d’Alzheimer sur les aidants familiaux [5].

 

Pour le malade, la résilience a un marqueur indirect : l’adaptation comportementale.

 

Revue de presse des tentatives de réhabilitation

 

Pour le malade le but de toute prise en charge, ne peut résider dans l’illusion d’une récupération durable. L’efficacité de la stimulation cognitive n’est pas démontrée. Les tentatives récentes sont bien exposées à l’occasion du congrés du GRAAL (communication et démence, BF Michel, F Verdureau, P. Combet, eds Solal, éditeur, Marseille, 2005) dans l’exposé de J. De Rotrou. Son projet de prise en charge est classique et formaliste, mettant le monde hospitalier au centre de toute prise en charge (p.283). Les objectifs des projets de « stimulation cognitive » sont de montrer la réalité de la communication, et d’objectiver « les bénéfices » d’un des programmes d’aide aux aidants.

 

La revue de la littérature concernant les tentatives de réhabilitation des fonctions cognitives dans le cadre de la maladie d’Alzheimer est riche et pauvre. La plus grande partie de la communauté neurologique s’attache plus au versant cognitif qu’au versant comportemental. Peut être du fait qu’il est plus aisément quantifiable par des tests et des échelles de mesurer les troubles cognitifs (mémoire, orientation...). Ce faisant le monde scientifique ne mesure que ce qui est conforme à la méthodologie d’une époque : celles du projet de décrire ce qui est mesurables et chiffrables selon des normes. La pensée dominante de la science expérimentale, est légitime dans son approche vers plus de rigueur que la généralisation à partir d’anecdotes, comme le fait la psychiatrie.
Cette approche chifrée "à tout prix" est-elle adaptée pour apprécier « en moyenne » des comportements de déments (comme le malade atteint d’Alzheimer) ? Le nombre des paramètres, leur instabilité dans le temps, ne permet pas de définir aisément des groupes homogènes qu’on pourrait comparer à des populations témoins.

 

La réhabilitation cognitive

 Diverses tentatives pour "améliorer" les fonctions intellectuelles du malade ont montré un effet mesurable mais aucune n’a montré d’effet « satisfaisant » en terme d’efficacité dans les activités du quotidien ou de meilleure qualité de vie.

Au stade débutant, quelques études récentes mettent en avant le rôle de la mobilisation des ressources restantes et l’usage de méthodes supplétives, compensatoires des déficits.

  Historiquement, trois types de tentatives ont vu le jour entre 1982 et 1987. Pour resituer cette époque rappelons que les critères de maladie d’Alzheimer n’étaient pas ceux qui prévalent aujourd’hui, que l’imagerie cérébrale était par exemple balbutiante, le scanner apparaissait (sous une forme primitive) et l’IRM un vague projet.

Or les trois méthodes de « réhabilitation cognitive » qui dominaient la pensée de l’époque étaient la ROT (Reality Orientation Therapy) de Powwell-Proctor et Miller (1982), la Reminiscence Therapy (RT) de Thornton et Brotchie (1987) et la Thérapie Comportementale de Burgio (1986) affinée par Ylieff en 1989[6]. Elles trouvent encore un écho.

La ROT a deux axes : le rappel des identités et l’orientation temporo-spatialle. La méthode est basée sur la confrontation « en continu » à ces informations (répétition).

La RT se propose de ramener à la surface des souvenirs anciens, se rapprochant de ce que nous nommons le « palimpseste », par analogie aux manuscrits anciens, grattés pour un réemploi et dont on peut ramener à la surface le premier texte inscrit.

Enfin, la Thérapie Comportementale a eut de nombreuses déclinaisons. Leur but commun étant de jouer sur les conduites.

Observons que, pour notre temps, la plupart des méthodes de réhabilitation cognitives ont été développées pour traiter les accidents cérébro-vasculaires ou les suites de traumatismes crâniens graves.

Les méthodes actuelles fonctionnent sur divers paradigmes basés sur des constats pragmatiques. Le principal concerne la persistante de capacités, d’aptitudes, de compétences.

Un projet alternatif : l’aide à la résilience

 

Nous pouvons de manière réaliste envisager un projet alternatif: celui d’aider le malade à reformuler une certaine cohérence de sa réalité, à identifier des repères apaisants et obtenir ainsi une meilleure adaptation sociale, un supplément de vie. La validation de ce type de démarche ne peut passer que par une évaluation régulière par des entretiens semi-structurés avec les patients et les aidants en pointant les éléments positifs malgré l’inéluctable évolution négative de l’état des patients. Ce faisant nous utilisons les compétences et aptitudes restantes en les privilégiant en situation écologique. Surtout nous proposons que les comportements déviants dominent la vie du patient et de son entourage et que c’est sur eux qu’il faut agir, en tenant pour vrai qu’ils ne sont pas étrangers aux déclins cognitifs mais qu’ils sont aussi une autre part de la symptomatologie. Sur cette hypothèse nous pouvons dès lors envisager une forme de restauration de la qualité de vie du malade, de résilience.

 

Est-il vaniteux de proposer, pour établir une relation malade-aidant apaisée, une méthode générale ? Parmi les nombreuses tentatives citons celle de l’Institut Universitaire de Sherbrooke, au Québec, qui compare son programme socio-éducatif à un groupe témoin bénéficiant du soutien classique de la société Alzheimer de sa région. Il montre son efficacité sur les comportements dérangeants mais pas de mieux sur la détresse psychologique de l’aidant[7]. Pas de résilience…

 

Pourtant la résilience existe…et on peut la faire émerger.

 

Dans certaines civilisations le dément âgé à une place traditionnellement définie, comme le montre le travail de M Lupu à propos de la Chine.

Certains aidants ont spontanément d’étonnantes compétences, ils trouvent en eux les ressources pour gérer ces dramatiques situations de vie. Même ceux là expriment une souffrance qu’ils masquent face au malade.

Mais dans la pratique la majorité des aidants vivent très mal cette situation et ceci à un retentissement sur la qualité de leur prise en charge du malade.

 

Si on considère la grande variété de présentation des malades, l’évolution de la maladie, des situations de vie et des aidants si différents, proposer une méthode universelle est une gageure. Enfin, tous ne sont pas nécessairement aptes à la résilience, mais tous ont droit à ce qu’on leur donne des bases.

 

De nombreuses publications basées sur le vécu des familles proposent des réactions ponctuelles à des évènements donnés, agitation, refus alimentaire ou d’hygiène, discours délirants etc.…il parait possible de donner une trame à ces réponses factuelles éparses, de les rassembler en une méthode générale.

 

Le tuteur

Une première solution est de proposer des tuteurs de résilience pour les aidants. Ce tuteur peut-être une personne de l’entourage, un psychologue ou une association de malades, il est affaire de cas par cas.

 

L’ajustement émotionnel :

processus interactif bidirectionnel, regards, partage

            empathie : 3 étapes vécu ego-centré

                                               changement de pt de vue

                                               changement de référentiel

 

L’empathie

L’aidant résilient, c’est celui qui décode ce que lui adresse le DA et est capable de lui renvoyer les messages…il nous est certainement possible de favoriser cette empathie en expliquant aux aidants en souffrance ce qu’est cette maladie.

Capacité de se représenter à la place de l’autre et de s’imprégner de ses sentiments, ses conceptions et de comprendre ses actions, l’empathie dans sa définition stricte ne peut être qu’une expérience de l’aidant. Il est certain que le malade atteint d’Alzheimer a surtout un vécu autocentré. Ce qui ne veut pas dire « égoïste » : combien de nos patients expriment le fait qu’ils sont tristes d’être une charge pour leurs aidants. C’est une empathie ébauchée mais non efficiente et en fait c’est alors plutôt de sympathie (littéralement « souffrir avec ») dont il faut parler. Le malade participe à la souffrance de son aidant…souffrance dont il se sait la cause. Nous verrons plus tard que cette empathie retrouve son sens initial dans la méthode de prise en charge du malade proposée ici : le théâtre. En effet, pendant prés de 30 ans après la création du terme (par Robert Vischer en 1873, en Allemand « Einfühlung ») il désigna l’action de l’acteur qui entre dans son rôle ou le spectateur qui s’implique. Ainsi, Robert de Niro qui grossit de quelques dizaines de kgs pour jouer le rôle de Jack La Motta vieillissant dans Raging Bull est-il un gros empathique. Il se conforme ainsi aux règles de la Société Empathique Holywoodienne de l’Actor’s Studio.

 

 

La base de sécurité

Pour le malade, parmi les repères apaisants, un aidant est assimilé par le patient comme « base de sécurité », en gardant à l’esprit qu’on est choisi plutôt qu’on ne s’autoproclame en tant que tel. Le changement de comportement du patient quand l’aidant « base de sécurité » s’éloigne est mesuré par diverses méthodes par le Dr Cyrulnik.

 

La communication vue comme une représentation

Une meilleure communication aidant-malade est le garant de la résilience en miroir.

 

Une méthode de communication est celle du « théâtre du quotidien »[8].

Ce théâtre répond à trois impératifs.

Il se base sur des faits neurologiques objectifs.

Il doit s’adapter à chaque patient et suivre l’évolution de la maladie.

Enfin, il suppose un engagement personnel fort.

 

Le premier éclairage concerne la connaissance des appariements de symptômes aux divers stades de la maladie. Elle permet une cohérence dans la prise en charge : trouble mnésique et syndrome dyséxécutif du début, parfois avec cette angoisse qui devient dépression, apparition de l’aphasie, de l’apraxie et intrication des troubles des comportements, effondrement des aptitudes à communiquer. Puis, l’inéluctable fin du parcours terrestre, grabatisation, vie « végétative ».

 

Second principe : prendre en compte la typologie de chaque malade. Selon sa personnalité pré-morbide et la localisation prépondérante des plaques séniles, il peut abdiquer et c’est l’apathie qui l’emporte, ou tenter de se forger une nouvelle cohérence, d’ordonner le chaos, d’ordonner au chaos, d’imposer sa réalité, et c’est l’agressivité qui s’exprime. Entre ces deux typologies, tous les intermédiaires sont possibles.

 

Troisième commandement : l’empathie. Essayer de ramener dans la « normalité » celui qui parcourt une autre planète, essayer de le raisonner, c’est vouloir, depuis la rive, donner un cours de natation à celui qui se noie : une main charitable suffit. Agir plutôt que dire.

 

Pourquoi théâtraliser la communication ?

 

Notre civilisation est le fruit de l’esprit industriel et de la pensée eugénique plus ou moins honteuse : après les échecs de la race sélectionnée (pourtant efficaces chez les bœufs et les chevaux de course), elle s’est entichée d’une nouvelle utopie, celle de décrire un homme « standard ». Ainsi, les femmes, qui sont les meilleurs de tous les hommes, l’ont bien compris en s’infligeant des régimes, des liftings, des peintures faciales et autres percings dont l’incompréhensible trou lobaire (non des lobes cérébraux mais de ceux des oreilles) pour être conforme à l’idée qu’elles se font de l’image standard. Les hommes se limitent à porter un bout de tissu coloré appelé « cravate » dans tous les cénacles où ils souhaitent être pris au sérieux. Les ados ont des codes tribaux. Dans tous les cas c’est le conformisme qui centre notre univers. Il semble atteindre ici et maintenant un paroxysme qui favorise l’exclusion de tout ceux qui n’entrent pas dans les critères identitaires, normatifs.

 

Cependant cette standardisation marginalise l’invalide, l’attardé, l’Alzheimer: on ne sait plus se comporter avec le non-conforme. Pourtant après la révolution industrielle il va falloir s’habituer à la révolution géronto-démographique : le papy-boom est une réalité.

 

Il nous faut apprendre à vivre avec les 12,5% de déments séniles de plus de 80 ans et grâce à la qualité des soins que prodiguent les neurologues des contingents de plus en plus nombreux d’octogénaires vont mugir dans nos campagnes (et dans nos villes car ils sont très urbains). A Cannes, petit port de pêche du littoral, 43% de la population a plus de 60 ans. Se promener sur la Croisette au mois de mars est un avant goût de ce qui attend le monde occidental…mais il y a pire : Menton ! L’Europe entière (voire le monde), au terme d’une vie de travail, ne rêve que de ciel bleu, de peu de mistral et autres tramontanes (protégée par les monts de l’Esterel et la chaîne des Alpes), de chaleur mais pas trop (Marrakech…) et de l’immensité méditerranéenne. La terre promise, l’eden de l’age d’or, est l’inévitable French Riviera, la côte d’azur. Concentrant au km² plus de seniors que la Floride, ce microscopique coin de terre est donc le centre du monde de la neurodégénerescence…un vrai laboratoire avant-gardiste de cet univers vieillissant.

 

Alors comment relever ce défi de la prise en charge des Alzheimer? La particularité est que cette prise en charge implique des aidants familiaux eux-mêmes âgés, fragiles et des enfants peu disponibles.

 

Le premier constat est qu’assumer la charge d’un Alzheimer impose un savoir faire.

 

C’est la communication aidant-malade qui fonde la résilience réciproque. On peut émettre l’hypothèse qu’elle est physiologiquement sous-tendue par la mise en jeu des neurones miroirs et de la plasticité cérébrale.

 

Et c’est dans la représentation que se fait l’aidant de cette situation qu’il va formuler un discours résilient. Et de la représentation au théâtre il n’y a qu’un pas.

Dans ce théâtre du quotidien l’aidant est le co-auteur, le metteur en scène, le costumier, le décorateur et bien sur l’acteur. C’est un permanent du spectacle. L’homme à tout faire des scènes de la vie du couple.

 

Par la théâtralisation, l’aidant utilise une communication plus adaptée que celle des schémas anciens dont il va devoir faire son deuil. Ce faisant l’aidant bénéficie d’un surcroît d’harmonie qui valide ses efforts et favorise sa démarche de résilient. C’est un comportement gagnant gagnant.

 

La théâtralisation de la communication espère à la fois agir sur les comportements du malade et distancier émotionnellement l’aidant de la dure réalité en lui donnant des  procédures, des recettes, une trame. Le double langage du sincère (affection) et du manipulé (théâtre) n’est pas contradictoire. Ce n’est après tout que l’application en neurologie des techniques de la diplomatie…

 

Cette méthode permet d’être ici pour gérer les contraintes du quotidien et de cheminer avec lui sur sa planète. La reconnaissance de son univers par l’aidant favorise la résilience du malade.

 

Si cette méthode choque au nom de la sincérité de l’amour, conjugal ou fillial, on peut admettre avec Karl Popper « qu’il n’y a pas d’action désintéressée qui ne porte la marque d’un bénéfice attendu ». Rappelons les 2 premiers objectifs du rapport de l’OCDE en 2004[9] :

1/ maintien à domicile le plus longtemps possible

2/ aider les aidants… pour atteindre ce but

Une communication adaptée permet une meilleure sociabilisation, une vie plus paisible, d’où un retard à la mise en institution[10] donc un plus faible coût social.

 

Comment jouer une pièce dont l’acteur central improvise sans unité de lieu ni d’espace, sans stabilité de la pensée sinon celle de ses convictions délirantes ?

Le premier principe est celui de l’ataraxie.

 

Un savant atomiste réunissait ses amis sur un terrain prés d’Athènes qu’il avait baptisé « le Jardin ». Il y prônait « l’ataraxie » ou absence de conflit. Pour lui, toute opinion est légitime mais la critique frontale génère un cycle où l’émotion finit par déborder la raison. Cet Einstein avant l’heure se nommait Epicure. La base de la communication avec un Alzheimer est l’ataraxie. L’application du principe d’ataraxie avec un Alzheimer ne peut passer que par ce jeu de rôle qu’on nomme le théâtre.

Dans la théâtralisation, au-delà des mots, les positions, les postures et les signes sont des codes « qui font sens » pour illustrer le message et exprimer les émotions qu’on veut communiquer au patient (apaisement, opposition…).

Dans cette pièce, tout a changé.

L’action se déroule sur une des planètes de la constellation Alzheimer, dont on ne sait rien de la tectonique des plaques séniles. Son unique habitant use de mots qui ont changé de signification, il instille du sens et de l’émotion dans ce qui nous paraît être des détails et manifeste indifférence ou propos choquants pour ce qui nous semble important. C’est une pièce de science fiction.

Les aidants ne joueront pas le rôle du détenteur de la vérité, dont le vain Graal serait de ramener leur malade dans une « normalité » idéale, de revenir à l’age d’or de la vie antérieure. Modestement, ils vont accepter de n’interdire que les comportements dangereux et de s’accommoder des autres pour préserver la plus grande paix possible.

La méthode use de tous les moyens d’adaptation aux comportements, de modifications du domicile, et autres, souvent exposés de manière éparse dans les ouvrages de nos collègues ou les brochures données par les associations.

 

Enfin, nous émettons l’hypothèse qu’au-delà de la gestion des comportements déviants du malade, l’attitude de l’aidant a valeur d’exemple. Calme, il propose le calme au malade, excité il ne lui rend pas service…Il persiste, à des degrés divers, chez l’Alzheimer une capacité d’imitation. Celle-ci ne relève pas nécessairement de processus conscient. La neurophysiologie a mis en évidence que si nous observons une action, une région de notre cerveau fabrique la même action sans cependant qu’elle émerge au niveau de l’expression motrice. C’est une découverte fondamentale à mettre à l’actif (essentiellement) de Rizzolatti[11] : des « neurones miroir » reconnaissent le mouvement de l’autre et l’imitent. Ils seraient situés dans le cortex pariétal inférieur et le cortex préfrontal droit. Or ces zones ne sont que très tardivement touchées dans la maladie d’Alzheimer, qui est surtout au début une maladie hippocampique et temporale, un des critères avancé par les tenants du diagnostic par IRM (mesurant le volume de l’hippocampe) et du PET-Scan (mesurant la baisse d’activité du lobe temporal).

Le théâtre du quotidien a donc valeur d’exemple car il peut entraîner le malade dans une pièce (un peu plus) apaisée.

La place des médicaments dans la résilience ?

Il peut sembler saugrenu de poser cette question si on admet que la résilience est un processus qui est du ressort de la psychologie. Nul ne peut plus ignorer que les rapports de la psychologie et de l’alchimie cérébrale (plus modernement conçue sous le concept de neuromédiateurs, neuropeptides et circuits neuronaux) sont fort étroits et qu’on peut agir dessus en usant de médicaments. Surmonter un deuil et faire de nouveaux projets c’est faire preuve de résilience. Mais se servir d’antidépresseur participe à la résilience. Sur ce modèle nous proposons d’explorer ce domaine dans la maladie d’Alzheimer.

La maladie d’Alzheimer nous confronte à deux problèmes fondamentaux :

            1-La détérioration des fonctions cognitives et non-cognitives : elle a largement bénéficié des traitements médicamenteux, anticholinestérasique et inhibiteur NMDA.

2-Les médicaments des crises comportementales, les « calmants », participent à la prise en charge.

            3-La préservation de la conscience au monde, de la vie relationnelle, le plus longtemps possible et dans les meilleures conditions possibles : c’est finalement le but ultime de tout traitement. C’est ici que la communication, ses méthodes et ses limites, prend tout son sens. La « communication » a bénéficié de l’extraordinaire expérience des aidants qui, de manière pragmatique et humaniste, dans des associations bien structurées, ont posé les pierres de fondation. Mais les médicaments précités ont aussi démontré leur rôle dans l’amélioration non seulement des fonctions cognitives mais aussi des comportements de présence.

Distinguons les médicaments en deux grandes classes :

 

1-les médicaments dits spécifiques, inhibiteurs de l’acétylcholinestérase (IAchE) et anti-glutamate dont le seul commercialisé est la memantine.

2- les traitements adjuvants, et surtout ceux destinés aux crises comportementales et à l’état dépressif souvent présent en début d’évolution. Nous ne nous étendrons pas sur ceux là car ils nous semblent sortir du cadre de la résilience proprement dite.

 

Nos médicaments spécifiques actuels ralentissent de manière notable l’évolution vers la dépendance, qui reste hélas le terme ultime. C’est un résultat formidable quand on songe qu’il y a quinze ans nous n’avions rien. C’est un résultat modeste car nous ne guérissons pas, nous ne stabilisons pas.

 

Dans les phases II de tous les médicaments les échelles de comportements ont eut une place importante pour l’obtention de l’AMM. Dès 1999, Levy[12] dans Gerontology s’intéresse à l’effet des traitements cholinergiques dans les troubles comportementaux de la maladie d’Alzheimer (MA), en 2003 les publications de Benoit[13] et Pancrazi[14] soulignent le rôle de ces médicaments dans ces symptômes, indépendament de la prise de psychotropes. Le travail de Trinh, JAMA 2003, présente une méta-analyse  de l’efficacité des anticholinesterasiques (IAchE) dans l’amélioration des symptômes neuropsychiatriques et des altérations fonctionnelles[15]. Dans une étude ultérieure de Holmes parue dans Neurology en 2004, à 12 semaines tous les scores sont améliorés, agitation, anxiété, apathie, dépression, irritabilité etc….[16] Enfin, le « rapport » de l’office parlementaire d’évaluation des politiques de santé paru en juillet 2005 est très clair[17]. Il cite divers essais et deux méta-analyses qui concluent à l’efficacité des IAChE et de la memantine sur les troubles comportementaux. Il est clair qu’ils participent à la résilience du malade. Curieusement ces études ne disent rien de l’impact en retour sur le vécu des aidants de malades traités. Dans notre pratique, l’interrogatoire des familles montre que leur satisfaction se manifeste plus sur l’amélioration des comportements que sur celle des fonctions cognitives. Rappelons que la plainte initiatrice du diagnostic était du domaine cognitif : le déclin de la mémoire et des fonctions exécutives complexes.

 

 

Les médicaments actuellement commercialisés

 

Les médicaments n’agissent pas sur la cause (inconnue) de la maladie d’Alzheimer mais sur des molécules du cerveau nommés neuromédiateurs.  Les neuromédiateurs sont des molécules chimiques qui permettent aux cellules du cerveau (entre autres) de communiquer entre elles. Parmi les nombreuses anomalies décelées dans la maladie d'Alzheimer, il est actuellement possible d’agir sur deux d’entre elles : l’acétylcholine (Ach) est « déficitaire » et la glutamine « en excès » (sur un type de ses récepteurs nommé NMDA).

 

On bloque la destruction de l’acétylcholine (Ach) et cette voie a porté ses fruits: les médicaments sont appelés « anti-cholinestérasiques » (IAChE).

 

Pour la glutamine, c’est au contraire son excès d’activité qui est néfaste. On a cherché à diminuer son activité et on a donc développé des médicaments « inhibiteurs glutaminergiques ».

 

 

Anti-cholinestérasiques 

 

Historiquement, c’est la tacrine (COGNEX) qui ouvrit la porte de l’espoir aux millions de patients atteints par cette maladie. Sa toxicité sur le foie a imposé son abandon quand d’autres médicaments sont apparus. Seuls les patients qui étaient sous Cognex avant commercialisation des 3 nouveaux sont encore autorisés à bénéficier de ce médicament, aucun nouveau patient ne peut en « bénéficier ».

 

Trois molécules anti-cholinestérasiques sont à ce jour commercialisées :

-le donepezil commercialisé sous le nom de ARICEPT

-la rivastigmine commercialisée sous le nom de EXELON

-la galantamine commercialisée sous le nom de REMINYL

 

L’autorisation de mise sur le marché, délivrée par les autorités, après de nombreuses études, précise qu’elles sont « actives sur les formes légères à modérées » selon la classification internationale. Le donepezil vient d’obtenir une extension d’AMM pour les formes modérément sévères.

 

Premier neuromédiateur sur lequel il a été possible d’agir par un médicament l’Ach (acétylcholine) est le mieux connu. Son niveau de manque est parallèle au niveau de la démence.

 

Les traitements anticholinestérasiques ont pour effet de maintenir un bon niveau d’Ach en évitant sa destruction. Pourtant la maladie d'Alzheimer continue d’évoluer et tôt ou tard ces traitements seront insuffisants.

Les comportements peuvent, au début, s’améliorer, permettant parfois de retrouver des aptitudes perdues. Les plus chanceux voient même s’améliorer les fonctions cognitives. Ces améliorations, quand elles existent, sont transitoires et les patients se dégradent ensuite mais toujours plus lentement que les patients chez qui on n’aurait pas (ou tardivement) donné un de ces 3 médicaments.

Ces médicaments stabilisent plus de 50% des patients un an après leur prescription initiale. Ils démontrent, versus placebo, leurs effets bénéfiques après 4 ans de suivi.

 

Inhibiteur glutaminergique

 

Une seule molécule représente cette classe : la memantine commercialisé sous le nom d’EBIXA.

 

L’autorisation de mise sur le marché (AMM), après un essai thérapeutique convaincant, précise qu’elle est « active sur la maladie d'Alzheimer pour les formes modérément sévères à sévères ». D’autres études ont montré qu’elle était aussi active sur les formes débutantes et il est possible que l’AMM évolue en ce sens.

 

La memantine permet parfois une amélioration des comportements, des réactions d’orientation, pour des sujets qui sont déjà en état de grande dépendance. Ces améliorations sont appréciables mais pas au point de redonner l’autonomie. Elles sont transitoires mais ce « transitoire » peut durer plusieurs mois.

 

La memantine peut être associée au donepezil et probablement aussi aux deux autres anti-cholinestérasiques, en tout état de cause rien n’interdit ces associations.

 

Conclusion sur les traitements médicamenteux

 

On est fondé à considérer que les traitements, de toutes natures, sont les béquilles de la résilience. Ils participent à tenir la tête hors de l’eau des malades, à leur donner plus de chance de rebondir.

 

 

 

 

Conclusion générale (provisoire)

 

 

Certaines études en maison de retraite estimaient il y a quelques années que les échanges verbaux avec les Alzheimer étaient absents 80% du temps d’éveil, alors que dire des autres moyens de communication ? La situation a évolué mais…

Les aidants familiaux sont ils moins aptes que les professionnels à gérer le patient ? Certes ils n’ont pas les savoirs techniques théoriques mais ils possèdent une clé essentielle. Ils savent tous les codes comportementaux de leur parent malade, codes liés à leur personnalité, à la famille, au groupe culturel dans lequel il évolue. Ils ont la science du quotidien, la science du praticien, la science du métier d’artisan de la vie du couple.

Oublier l’aidant familial, le reléguer à des taches accessoires comme c’est le cas dans la plupart des prises en charge des centres experts c’est faire preuve d’un « scientocentrisme » présomptueux et aveugle. C’est par lui et à travers lui que va passer le message de la résilience.

 

La résilience est un concept d’avenir. Sans être un bonheur de substitution la résilience n’en est pas moins une petite lumière dans de vastes ténèbres.

 

Pour le malade elle vise le maintient de sa conscience au monde, dans une vie apaisée.

 

En faisant preuve de résilience l’aidant favorise celle du malade, et reçoit en retour la récompense d’une vie moins rude, donc une validation de ses efforts.

 

La résilience interactive du couple aidant-malade passe par une méthode de communication adaptée basée sur l’ataraxie et la « théâtralisation ».

 

Pour finir, donnons un chiffre qui met en perspective cet immense travail de sensibilisation et de formation des aidants: il y a, en France, un neurologue pour 1160 Alzheimer.



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[2] Thomas P et al. Plaintes des aidants à domicile des aidants prenant en charge des déments à domicile. In Maladie d’Alzheimer. 2002. Springer. 172-178.

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