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MALADIE D’ALZHEIMER

 *

SES REPERCUSSIONS SUR LA VIE FAMILIALE

Milica VALETTE

Psychosociologue

Résidence « Bégum Aga Khan »

LE CANNET

 

 

D’origine neurodégénérative, la maladie d'Alzheimer évolue lentement, entraînant le malade des petits oublis à des troubles des comportements souvent sévères puis à une perte d’autonomie (dépendance), prélude à la grabatérisation et à la fin du parcours terrestre.

Nous pouvons tous être concernés en tant que famille, époux ou épouses, enfants ou petits-enfants mais aussi voisins, amis, connaissances ou collègues de travail. La plus concernée est évidemment la famille la plus proche, celle qui doit assurer au quotidien la prise en charge du malade.

Je parlerai plus particulièrement de certaines transformations relationnelles et psychologiques qui s’opèrent sous l’influence de la présence d’un malade Alzheimer au sein d’une famille.

Avant que le diagnostic soit posé, on présuppose que ça pourrait être cette maladie tout en espérant que ce ne soit pas le cas. Toutes les autres hypothèses plus rassurantes sont envisagées. Une fois le diagnostic posé, c’est en général le choc, on envisage le pire, c’est l’angoisse.

 

Les attitudes déconseillées :

 

1. L’autodiagnostic : Des troubles similaires peuvent avoir des origines complètement différentes. Seule une appréciation par un spécialiste complétée par des examens approfondis peut établir le diagnostic fiable.

2.   L’autopronostic : C’est une maladie qui se gère sur le long terme, chaque cas est différent et il faut s’entourer de professionnels compétents. Chaque expérience est spécifique. Personne ne peut prévoir avec exactitude combien d’années ça va durer et comment les choses vont se passer ; Le malade pourra-t-il rester jusqu’à la fin chez lui ou faudra-t-il envisager un placement en maison de retraite ?

3.   La peur de la maladie : Pas de panique, car elle est mauvaise conseillère. C’est une maladie qui est en effet très pénible pour la personne et pour son entourage, elle n’est pas contagieuse. On a besoin de toute sa raison et son sang froid pour y faire face. Si on ne peut pas encore la soigner ni la guérir, on commence à bien la connaître et à avoir une prise en charge médicamenteuse et humaine de plus en plus performante et adaptée. Il faut être prêt à envisager une évolution sur plusieurs années, donc ménager ses forces physiques et morales.

4.   Le renfermement : Ne pas se couper des autres, ne pas faire un tabou de ce sujet. Il faut maintenir les liens sociaux et entrer éventuellement en contact avec d’autres familles ayant le même problème. Si vous avez du mal à en parler, faites vous aider par une personne de confiance. Parfois c’est juste le premier pas qui est difficile à franchir.

 

5.   La culpabilisation : On peut se sentir coupable d’être en bonne santé à côté de quelqu’un qui ne méritait pas du tout d’être malade. La culpabilisation peut mener à un dévouement extrême et au sacrifice de soi, qui ne sont pas du tout souhaitables et qui peuvent nuire à la sérénité de la prise en charge.

 

6.   Ne pas jouer au superman ou à la superwoman : …qui veut s’en sortir seul sans rien demander à personne. N’attendez pas d’arriver au surmenage pour demander de l’aide. Il est impossible de faire face tout seul même avec la meilleure volonté et courage.

 

Les attitudes positives :

 

1.      Il faut s’informer sur la maladie dans les livres, sur les sites internet, dans les magazines sur la santé, aller à des conférences…

2.      Prendre contact avec des associations telles que France Alzheimer

3.      Ouvrir le dialogue avec son médecin de famille et son spécialiste

4.      Informer la famille, privilégier la franchise et la vérité, chercher comment le dire aux plus jeunes, petits-enfants, neveux et nièces. Faire appel à toutes les bonnes volontés pour le soutien.

5.      Faire appel aux associations des aides à domicile.

6.      S’informer sur les possibilités de prise en charge temporaire dans des accueils de jour.

 

Avec cette maladie on prend conscience que progressivement tout change. C’est dans l’épreuve qu’on apprend à se connaître, à découvrir les forces qu’on a en soi. Nous découvrons aussi les qualités des autres, la fidélité de nos amis, le dévouement de la famille. Tout est possible, le meilleur comme le moins bon.

Les habitudes de la vie quotidienne changent également. Avant, nous avions un parent ou un conjoint autonome qui menait sa vie de retraité comme il l’entendait. Il voyageait, s’occupait, faisait ses commissions et se faisait à manger, se déplaçait seul et avait des activités diverses. Il pouvait même nous rendre service. Progressivement, avec la maladie, il lui devient de plus en plus difficile de s’organiser dans la vie courante. Il oublie de plus en plus de choses, perd ses affaires, a peur de tout, fait des « bêtises ». Dorénavant il a besoin de nous, il n’est plus autonome, il n’est plus en sécurité. Il a besoin de notre soutien.

Je pourrai évoquer l’amour filial, l’amour conjugal, le respect que l’on doit à nos anciens, parents ou grands-parents qui nous ont élevés. C’est un devoir moral que de les accompagner dans la maladie et la dépendance mais c’est aussi une obligation légale. Pour certaines personnes cela va de soi, ça semble naturel, mais ce n’est pas toujours le cas.

Divers conflits passés peuvent avoir perturbé les rapports familiaux avec comme conséquences une plus ou moins bonne volonté à participer à la prise en charge.

Pour certains, c’est la peur de la maladie et l’évitement qui prédominent, accompagnés d’une mauvaise conscience plus ou moins marquée. Parfois c’est le déni et l’incompréhension de la maladie : On culpabilise la personne malade, on la critique, on porte des jugements. On dit qu’il fait exprès, qu’il est méchant, qu’il fait du cinéma ou du chantage. Cette incompréhension des troubles du comportement ne fait qu’empirer les choses. Elle peut être le reflet d’une ancienne brèche dans les rapports, réveillée par de vieilles rancunes. On peut entendre dire « Comment ! Moi je dois m’occuper de lui alors qu’il s’est si peu occupé de moi ! » Ce genre d’attitude peut aussi apparaître avec l’usure psychologique et la fatigue de l’entourage.

D’autres vont se révolter : « Pourquoi cela nous arrive-t-il à nous ? On n’a pas mérité ça. » On cherche un coupable, une responsabilité.

D’autres au contraire vont vouloir tout prendre en charge en survalorisant leur investissement personnel et leur sacrifice. Ils vont plus ou moins culpabiliser ceux qui n’assument pas leur part de responsabilité. Il existe un risque de surprotection et d’infantilisation de la personne malade qui se voit retirer toute possibilité de décision et d’initiative.

L’attitude adoptée par les uns et les autres peut devenir source de conflit au sein de la famille. On va se juger les uns les autres, se critiquer.

 

Entre les deux extrêmes, quelle est l’attitude la mieux adaptée ?

 

Dans les comportements familiaux les plus harmonieux, la famille est soudée et solidaire autour du malade pour l’entourer au mieux et se relayer les uns les autres. Ceci n’est pas observé que dans les familles sans problèmes, à supposer qu’elles existent. Plutôt que de se critiquer et de porter des jugements entre les membres d’une même famille, il est souhaitable d’encourager les capacités d’évolution et d’adaptation de chacun pour faire face de la meilleure façon possible. A chacun son rythme, selon son vécu, sa fragilité et son caractère.

Dans certaines familles, des retournements de situation spectaculaires où les liens se sont renoués malgré les conflits passés. Des réconciliations peuvent se faire autour de la maladie d’un parent. On peut pardonner, être heureux de pouvoir donner ce qu’on n’a pas reçu, l’amour, le soutien, la reconnaissance nécessaires. C’est quand de nouveaux rapports positifs se mettent en place que le passé douloureux cesse d’être source de souffrance.

Dans certains cas, la maladie est l’occasion de briser les schémas du passé, de reconstruire de nouveaux liens familiaux, de réécrire ensembles autrement l’histoire familiale, d’écrire un nouveau chapitre.

Une réaction familiale adaptée permet une compréhension juste de la réalité et favorise l’acceptation de l’évolution future de la maladie. Elle permet de développer les qualités indispensables comme la patience, l’écoute, l’ouverture d’esprit et l’empathie. Ce n’est qu’à ces conditions qu’on peut arriver à se mettre à la place du malade pour essayer de comprendre son univers intérieur.

 

La personne atteinte de la maladie d’Alzheimer finit par oublier son passé, sa personnalité et son caractère se transforment. Elle devient vulnérable, imprévisible et ne nous reconnait plus. Elle n’est plus ce qu’elle a été, et tous les enjeux relationnels passés ne sont plus d’actualité. Le rapport parent-enfant s’inverse. C’est l’enfant qui devient le référent protecteur de son parent. Cela peut être perturbateur et très déstabilisant pour la famille. Le malade a perdu ses repères mais les enfants également les leurs. Ils sont dorénavant appelés à prendre des initiatives et des décisions qu’ils ne se seraient pas permis auparavant. Ils peuvent être choqués d’êtres appelés « maman » par leur propre mère, qu’elle oublie leurs prénoms et ceux des petits-enfants. Mais la joie qui illumine son visage, le regard qui s’éveille à l’arrivée de la famille, témoignent de la reconnaissance visuelle et du plaisir de la rencontre. Quelques instants de bonheur vont être vécus à travers le sourire, le regard, la caresse et les mots doux. Cette stimulation émotionnelle est très importante car la communication non verbale passe par tous les sens. Même si ce sont les larmes qui apparaissent, il s’agit souvent d’un débordement affectif face à une trop forte émotion.

Malgré les troubles de la communication, de comportements et de raisonnements logiques, le psychisme continue de fonctionner. La vie émotionnelle et affective reste très présente. Les malades sont des êtres humains comme nous, sensibles, avec la capacité de réagir à ce qui se passe autour d’eux. Ils peuvent aimer, être joyeux, tristes, avoir peur, être en colère ou apaisés et heureux. Les sensations de plaisir et de déplaisir persistent. Ils peuvent ressentir la souffrance physique et morale. Ils ont droit à la dignité et au respect. La capacité d’avoir des moments de bonheur reste intacte et nous pouvons y contribuer. Ils ont besoin de tendresse, de marques d’amour et d’amitié pour les rassurer car ils souffrent moralement de se sentir diminués. Ils sont tout à fait capables de communiquer leur ressenti aussi bien positif que négatif. Et lorsque les mots pour le dire ne sont plus là, c’est à nous de montrer que nous avons compris ce qu’ils voulaient nous exprimer.

Ils sont très réceptifs aux réactions de l’entourage. Une forme d’hypersensibilité exubérante peut alterner avec des moments d’apathie et de tristesse; les réactions deviennent imprévisibles, les affects mal maîtrisés. Même si un véritable échange émotionnel peut exister, le mode de communication et les codes changent ; l’interaction qui s’établit entre le malade et l’entourage n’est plus contrôlé par la logique de l’intellect et de la conscience. De même, les stimuli émotionnels des malades peuvent être différents des nôtres, et différents d’un malade à l’autre. On peut assister à des comportements et des attitudes inadaptés à la situation, à l’émergence de peurs non justifiées, à des réactions impulsives sans motifs apparents et au non respect des codes moraux et sociaux. Mais on voit également des personnes malades très aimables, douces, avec un charme particulier, une affectivité débordante, cherchant le câlin, le contact et vous couvrant de bisous. Elles sont très demandeuses de présence et veulent qu’on s’occupe d’elles. A une certaine étape de la maladie, le malade s’exprime par un langage qui lui est propre et la communication verbale devient difficile.

La connaissance de chaque malade et de la maladie est fondamentale pour une prise en charge adéquate, non-agressive et non anxiogène. C’est l’observation neutre, sans jugements de valeur, qui peut nous y mener. Elle nous permet de repérer les situations et attitudes bienfaisantes et d’écarter ce qui perturbe, fait peur ou fait souffrir. Le dialogue avec une équipe pluridisciplinaire de professionnels ayant l’habitude d’assumer ce genre de situations est très bénéfique. C’est à l’entourage de faire un effort d’adaptation et de compréhension car la personne elle-même n’en est pas capable.

Alors, que pouvons-nous faire ? Dans les cas d’une réponse pessimiste, nous pouvons croire que tout est fini et qu’il n’y a rien d’autre faire que d’assurer le quotidien au mieux. La réponse optimiste consiste à se dire que la vie vaut toujours la peine d’être vécue et qu’elle peut encore nous réserver de bons moments de partage. On peut encore avoir des projets communs et construire un avenir avec la personne malade en tenant compte de ses capacités et de ses faiblesses. On peut élaborer un véritable Projet de Vie qui stimule et préserve ses capacités existantes, qui la dynamise et continue de la maintenir en éveil intellectuel en lui apportant une joie de vivre et des moments de bonheur. Les moments de fêtes familiales sont des moments de bonheur partagés qui font du bien à tout le monde, au malade et à son entourage. Les liens intergénérationnels sont renforcés et les plus jeunes gardent un contact vivant avec leurs racines qui serviront de base à la construction leurs futurs souvenirs.

A un moment donné le placement dans une institution peut être envisagé. C’est un moment particulièrement sensible où la famille a besoin d’être entourée, conseillée et soutenue. Comment préparer la personne âgée à cette perspective ? Comment préparer l’entourage familial à envisager et accepter cette décision. Les avis sont souvent partagés et il n’est pas facile d’arriver au consensus. C’est le moment où l’avis médical peut nous aider mais également d’autres intervenants comme les psychologues ou autres professionnels. Souvent la famille culpabilise à l’idée de se séparer de son aïeule, elle a l’impression de l’abandonner. Il est à noter que la qualité d’accueil dans les maisons de retraite s’est nettement améliorée et que les normes de qualité actuellement exigées sont placées très haut. De plus, la garantie d’une prise en charge professionnelle 24 heures sur 24 n’empêche nullement la personne placée de retrouver sa famille quand celle-ci le désire. Comme solution intermédiaire, l’accueil de jour proposé par certains établissements peut être bénéfique à plus d’un titre. A chaque étape de la maladie existent des solutions variées et adaptées.

Nombreuses sont les questions qu’on peut se poser en vivant ce genre situation. Il est important de cibler celles qui sont pertinentes et qui nous aident à avancer pour trouver les solutions les mieux adaptées.

EN CONCLUSION

 

La famille doit se reconstruire, élaborer de nouveaux repères, se concerter, s’organiser, partager les tâches et la prise en charge. Il faut faire confiance aux professionnels avant d’atteindre l’usure, le surmenage ou la dépression. Les soignants professionnels ont besoin de la confiance et de la collaboration de la part des familles. Un suivi très proche pluridisciplinaire doit être mis en place : médecins, infirmières, psychologues, kinésithérapeutes, aides-soignants, accompagnateurs. Il faut se donner le temps, et prendre du temps pour soi, afin de préserver ses forces physiques et morales, sa patience, son sang froid, pour arriver à l’acceptation du malade dans sa différence, tel qu’il est.

Avec la maladie, le regard que nous posons sur nos proches se transforme. Les vraies valeurs humaines de respect, de solidarité, de compassion et d’empathie  doivent passer en première place. Les désagréments et soucis secondaires doivent passer à l’arrière-plan. L’importance que nous accordons à certaines choses et à certains événements peut être relativisée, nos priorités remaniées. Accompagner un malade est une expérience de vie qui peut nous transformer intérieurement en profondeur. Nous sommes devant l’évidence que la vie est éphémère, que nous sommes tous de passage, et que tous les moments dont nous pouvons profiter sont précieux. Ne les gâchons pas. Prenons soin de notre forme et de notre santé, profitons de nos neurones pendant qu’ils sont là, bien actifs. Construisons notre Projet de Vie personnel en tenant compte des personnes qui nous sont proches, pour qu’il soit le plus satisfaisant possible. Chaque âge possède ses principes d’épanouissement spécifiques en harmonie avec les cycles de la vie, ses plaisirs et ses devoirs. A nous de les découvrir et de les appliquer, dans le but de notre accomplissement personnel et de notre paix intérieure.

 

Conférence donnée dans le cadre du « plan gérontologique - Le Cannet, 06 », le 27.mai 2010.                                                                             Par Milica VALETTE,  Psychosociologue

Tag(s) : #alzheimer parkinson neurologie
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