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"Alzheimer, mode d'emploi, le livre des aidants"


Comment sommes-nous influencés et son contraire?

Les humains sont très attachés à l’idée qu’ils sont avant tout une personne, un individu à part, une entité avec une identité et qu’ils ont, dans leurs actes et leurs choix, une large part de libre arbitre.

Plusieurs éléments vont tempérer cette conviction.

L’identité que nous revendiquons est d’abord cette histoire que nous nous racontons et que nous racontons aux autres ; ce récit de nous même crée ce que nous appelons une identité narrative. Elle est fondamentale chez les âgés qui, selon les plus jeunes, radotent. Ils ré-écrivent une épopée personnelle (en grand partie exacte mais faites de morceaux choisis) incrustée de souvenirs typiques « de son temps », d’expériences réinventées. Cette biographie officielle est un processus très centré sur soi mais la façon qu’ont les receveurs de réagir à ce discours va le modifier. Nous sommes tous un peu ce que les autres veulent qu’on soit. Cette identité ne se raconte pas seulement par les mots mais par ce que nous montrons, nos codes corporels (barbes, coiffure, maquillage), vestimentaires et par nos attitudes, postures et gestes, enfin par nos actes.

Par notre exposition aux autres nous en subissons l’influence. Cette influence peut être néfaste, et aller jusqu’à un abus de faiblesse. Cette influence peut présenter des aspects positifs , l’imitation motrice (les apprentissages), la capacité à anticiper les réactions d’autrui, à parier sur ses intentions ou à saisir son humeur. 
         
Définir l’empathie ?

Du grec ancien εμ, dans, à l'intérieur, et πάθoς, souffrance, ce qu'on éprouve, l'empathie est la capacité de se représenter ce que ressent l’autre, ses sentiments et ses émotions, sans les ressentir soi-même.

On  sépare l'empathie de la sympathie qui a une composante personnelle, j'aime celui que je plains! L'empathie est sans lien avec la personne qui en est l'objet (détachement). 
        L'empathie implique un recul
intellectuel qui autorise la compréhension des états émotionnels des autres, tandis que la sympathie est un partage de sentiments.

           Le concept d’empathie a suscité de nombreux éclairages dans des domaines variés.

La psychologie nous dit que l’empathie est la capacité de recul sur son propre discours pour entendre le discours de l’autre. C’est aussi le « dialogisme constructif » : « quand on forme des phrases on n’est jamais seul ». On prend en compte celui à qui est destiné le discours. On bâtit donc une représentation mentale de son destinataire, de ses attentes, de ses réactions.

Dans les sciences humaines, l'empathie est définie comme un effort rationnel de compréhension des ressentis de l'autre. Excluant toute implication affective personnelle (sympathie, antipathie) et tout jugement moral.

Depuis peu la neurologie apporte un éclairage stimulant sur les mécanismes organiques de l’influence et de l’empathie. Elle va nous montrer que les domaines de la pensée et de la gestuelle sont communs…

La découverte des neurones miroirs est probablement l’une des avancées les plus importantes de la fin du dernier millénaire. Les horizons qu’elle ouvre sont vastes, dans la compréhension des troubles comportementaux de nombreuses pathologies cérébrales organiques. Elle ne nie pas ces empathies "morales" mais elle montre qu'il existe une empathie "réactive", immédiate, sans calcul.

De récentes données neurophysiologiques (EEG, MagnétoEncéphaloGraphie) et d’imagerie cérébrale (caméra à positron, IRM fonctionnelle) apportent de solides arguments en faveur de l’existence des neurones miroirs chez l’homme. Certaines régions présentent une activité similaire lors de l’observation de gestes, c'est le cas de l'aire de Broca (expression du langage) mais aussi du cortex pariétal inférieur (perception sensorielle, en particulier de l'espace) en particulier. Ces aires produisent une représentation d’une action, qu'elle soit effectuée, vue ou anticipée. Parce que nous pouvons prévoir les conséquences de nos propres actions, certains ont avancé que les neurones miroirs pourraient être le substrat neuronal de notre capacité à comprendre également la signification d’une action faite par autrui par le biais du déchiffrage immédiat de sa gestuelle.

Nos collègues psychiatres ont longtemps discourus sur le sens que notre intelligence, grâce aux discours, pouvait donner à tel ou tel geste. Il s’agissait d’une analyse interprétative, elle prenait du temps et était soumise à une critique : chaque interprétation était la vérité universelle, or il y avait autant de vérités universelles que d’écoles de psychiatrie ou de psychologie.

Toutes ces approches sont toujours valides mais il existe une forme de compréhension de l'autre qui se vit dans l'immédiateté comme une sorte de "réflexe empathique" et qui passe par un systême neuronal inconnu il y a peu de temps. Il ne s'agit pas d'une théorie mais bien de faits démontrés par les méthodes les plus modernes de l'investigation cérébrale, PET-Scan, IRM fonctionnelle, magnétoencéphalographie etc.

Dès lors on a pu définir 3 buts principaux correspondants à diverses sous-populations de ces neurones miroirs.

Les apprentissages

L’ identification de l’intention de l’acte

La compréhension de la composante émotionnelle associée au geste


L’empathie dans le cadre de l’Alzheimer.

Dans la maladie d’Alzheimer, le siège lésionnel initial est hippocampique puis temporal et tardivement diffus (donc abordant l’aire 44 de Broadman ou aire de Broca, des neurones miroirs).

On peut avancer l'hypothèse que ce soit seulement à un stade avancé que l’empathie est altérée dans la maladie d’Alzheimer.

 

Chez l’Alzheimer, le vécu est très égocentré, le changement de point de vue (décentrage) est impossible ou difficile, les référentiels ont changé, de même les ajustements émotionnels sont mal contrôlés. La partie de l’empathie qui concerne le formatage de son propre discours en fonction de la représentation qu’on se fait de ce que l’autre attend de nous parait exclue, la malade n’en est plus capable. Pourtant le sujet reste apte à se laisser en quelque sorte influencer par l’attitude des personnes qu’il a face à lui.

 

L’aidant, par la théâtralisation de sa communication, peut manipuler, dans un but « thérapeutique » (calmer sans « calmants médicamenteux »), sa relation avec l’Alzheimer. On espère ainsi améliorer sa relation au monde, au cadre de vie, aux aidants et permettre l’ataraxie ou absence de conflit. Le cerveau de l’Alzheimer ne gère plus les mises en difficulté (les paradoxes ou les contradictions, ou les ambigüités) avec les individus et plus généralement avec l’environnement. Par exemple, une des formules que je propose aux aidants est : « ne raisonner pas avec lui (ne l’assommez pas de phrases), résonner avec lui (mettez vous en phase) ».

 

 

Quels sont les canaux de l’empathie ?

 

Les codes de communication non verbaux font sens et sans doute plus que les mots eux-mêmes. Les codes positionnels et gestuels (vus) mais aussi la manière d’émettre des sons vocaux (entendus) d’apaisement (et a contrario d’alerte) sont de mieux en mieux connus grâce aux travaux des éthologues et des psychiatres mais aussi des ethnologues. Ils ont bénéficié des réflexions sur les symboles signifiants propres à chaque groupe humain, à chaque culture (ethnologie médicale) et au final à chaque famille, à chaque individu.

Cette compilation de codes n’est  pas si chaotique si on se réfère aux règles de base, comme dans un rétro-contrôle constant, si on est attentif et ouvert, et qu’on s’adapte en fonction des réactions que nos actes provoquent chez l’autre.

Des codes plus subtils, les apparences, l’habit ou la politesse par exemple, façonnent la vie sociale.

 

La force d’évocation de ces codes passe par la représentation symbolique qui lui est lié : une cravate ou un jean, un maquillage excessif ou un percing, une manière dans la gestuelle, dans la façon de parler, tout est plein de signaux pour déduire quelque chose de l’autre.

 

Toute relation est donc un théâtre même s’il nous parait naturel, spontané, sincère.

 

Rôle des aidants, théâtre et résilience

 

L’aidant a le premier rôle. Il a besoin d'un entourage efficace, famille, amis,personnel etc, on va l'aider à faire acte de résilience en devnant ses tuteurs de résilience, un tuteur permet à une plante de pousser.

L’aidant, pour qu’il use de nouveaux codes de communication avec le malade, doit effondrer ses schémas habituels de communication. C’est la définition de la résilience : rupture, renaissance.

La théâtralisation de la relation n’est pas la négation de la sincérité de la relation. Elle n’en est que l’habillage utile à une relation adaptée.

 

Pour qu’il y ait imitation donc empathie il faut que l’Alzheimer soit réceptif à tel aidant en particulier et, comme la relation avec son psy, le malade investit cet aidant d’un rôle privilégié : c’est sa « base de sécurité ».

S’il réussit sa communication cet aidant devient un « tuteur de résilience » pour le malade. Et cette communication apaisée participe aussi à fortifier la résilience de l’aidant en lui montrant qu’il peut agir sur la partie comportementale de la maladie même si le déclin cognitif reste inaccessible malgré toutes les tentatives de stimulation.

L’aidant principal n’est pas forcément la base de sécurité, le tuteur de résilience ; c’est l’aidant « base de sécurité » qui sera à tout moment l’acteur principal de la relation empathique.

L’aidant doit aussi, on l’a dit, rester un récepteur empathique : s’il n’est pas en écoute des réactions que provoquent ses actes il ne pourra pas les ajuster (opportunisme, ajustement).

La théâtralisation est une représentation choisie de la réalité vécue, adaptée à cette situation nouvelle. C’est aussi un scenario mettant en cohérence des conseils certes judicieux mais éparpillés, donnés par les associations de famille et les livres divers.

Le travail de théâtre se fait sur la voix autant que sur le sens des paroles prononcées (la méthode proposée met en exergue le sens du son), sur le visage (capital), sur la manière de produire une gestuelle, sur les implicites dans les actions qu’on fait sans proposition verbalisée (qui ouvrirait la porte à l’opposition) et sur la distance au malade (proximologie). Tout doit avoir l’air naturel, « allant de soi », sans doute ni hésitation, sans précipitation ni excès de lenteur (impatience).

Enfin, l’aidant « émetteur » de signaux doit garder à l’esprit un certain nombre de règles les plus clarifiées possibles, que le médecin « instructeur » doit ajuster, mettre à la portée du niveau de compréhension de chacun.

La première règle concerne la nature des signaux émis.

Un émetteur produit, simultanément, plusieurs signaux par des canaux différents (par exemple, un signal sonore et un signal optique).

Chaque signal véhicule un certain nombre d'informations communes à celles transmises par un autre signal. Cette redondance des signaux, associée à la présence d'éléments contextuels (indices), a un immense potentiel informatif. La durée d'un signal peut être prolongée par sa répétition ou son incorporation dans une séquence complexe dont l'enchaînement peut être modifié ou non par la réponse.

L’expression faciale, par exemple, est considérée comme la plus élaborée des signaux visuels. La complexité des expressions faciales croit avec le degré d'évolution des espèces.

L’aire de Broca, aire du langage exprimé, est aussi celle des neurones miroirs et de l’empathie : le discours (interne) sur les choses perçues, non pas photographique mais ré-interprété est la définition même du théâtre.
Article à suivre dans les jours qui viennent...


[1] Wikipedia

[2] Groupe de travail « résilience et vieillissement », Lauris, 2007

[3] Ploton Louis, communication personnelle.

[4] Rizzolatti G, Fadiga L. , Grasping objects and grasping action meanings: the dual role of monkey rostroventral premotor cortex (area F5). Instituto di Fisiologia Umana, Università di Parma, Italy.

[5] Aire 44 dans la classification de Broadman

Tag(s) : #alzheimer parkinson neurologie
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