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Le congrès du GRAL 2014 s'est déroulé à la Faculté de médecine de Marseille, les 17 et 18 janvier 2014 avec une communication sur les Neurones miroirs

 

Alzheimer, empathie et neurones miroirs : la représentation manipulable.

Un théâtre de la relation
 

Dr Jean-Pierre Polydor

L’empathie immédiate est sous-tendue par les neurones miroirs qui analysent la perception des gestes. Cette forme d’empathie, compréhension non dépendante de processus cognitifs complexes, n’est qu’une forme d’un concept plus vaste qui inclut l’empathie classique fondée sur la réflexion (sous tendue par les valeurs morales).

Les lésions de la maladie d'Alzheimer ont un mode d’extension en nappe. On propose le paradigme que la grande distance entre l’hippocampe et les diverses zones des neurones miroirs le malade permet de conserver longtemps une empathie donc percevoir l’état émotif de ceux qui l’entourent et à en être influencé. L’entourage appliquant une méthode relationnelle raisonnée (nommée ici « théâtre de la relation ») basée sur l’utilisation des neurones miroirs, pourrait ainsi avoir un rôle thérapeutique non médicamenteux sur les troubles neuro-psycho-comportementaux de la maladie d’Alzheimer.

Introduction

L’influence qu’on peut avoir sur les malades d'Alzheimer permet de limiter les troubles neuro-psycho-comportementaux. Les traitements spécifiques de la maladie d'Alzheimer sont leur premier traitement mais ils ont leurs limites. Les « calmants » ont  des effets secondaires (benzodiazépines, neuroleptiques par exemple) et leur efficacité est inconstante et partielle. Le « théâtre de la relation » vise à organiser de manière rationnelle les conseils des fiches.

Le rôle de l’influence

Chacun est persuadé d’être une personne à part, une entité avec une identité et chacun pense avoir dans ses actes et ses choix, une large part de libre arbitre. Quelques remarques vont tempérer cette conviction. Par notre exposition sociale aux autres nous en subissons l’influence laquelle peut présenter des aspects positifs comme dans l’imitation motrice (les apprentissages), la capacité à anticiper les réactions d’autrui, à parier sur ses intentions ou à saisir son humeur présente. Une des fonctions organiques du cerveau est de nous permettre d'interagir de façon adaptée avec l’autre. L’efficacité de ces interactions sociales réside dans notre aptitude à comprendre l’autre : c’est ce qu’on nomme l’empathie.

Qu’est ce que l’empathie ?

Du grec ancien εμ, dans, à l'intérieur, et πάθoς, souffrance, ce qu'on éprouve, l'empathie est la capacité de se représenter ce que ressent l’autre, ses sentiments et ses émotions. L'empathie est neutre (détachement), dans le recul affectif qui autorise la compréhension des états émotionnels des autres, tandis que la sympathie est un partage de sentiments lié à une relation particulière.

Une brève histoire des neurones miroirs

Historiquement, en 1954 Henri Gastaut (Marseille) avait publié un article exposant qu’un sujet qui observe un geste, bloque sur l’EEG les ondes mu (µ).

Rizzolatti, neurophysiologiste de Parme (Italie), en 1997, enregistre une curieuse activité dans l’aire F5 du cortex prémoteur ventral cerveau d’un singe sous PET-scan : sur cet l’enregistrement le singe bouge la main, or il est immobile ! Dans son dos, un assistant bouge la main ! Rizollatti a découvert des populations neuronales qui s’activent quand on observe l’action d’un autre prenant un objet comme si on le manipulait lui-même. Il qualifia ces neurones de « neurones miroirs » car l’action observée semble reflétée, comme dans un miroir, par une représentation motrice (non exprimée) de la même action chez l’observateur. D’autres aires cérébrales possèdent le même type de neurones.

Topographie et physiologie des neurones miroirs

Des données neurophysiologiques (MagnétoEncéphaloGraphie) et d’imagerie (caméra à positron, IRM fonctionnelle) ont confirmé l’existence de zones contenant des neurones miroirs chez l’homme. L’aire F5 chez le singe est l’homologue de l’aire de Broca chez l’homme. Le système des neurones miroirs est plus vaste que la seule aire de Broca, c’est un ensemble d’aires disséminées, reliées entre elles, dont chacune a une fonction.

Parce que nous pouvons prévoir les conséquences de nos propres actions, les neurones miroirs sont de bons candidats pour être le support neuronal de notre capacité à comprendre la signification d’une action faite par autrui par le biais du déchiffrage immédiat de sa gestuelle. Le répertoire des significations émotionnelles voire, osons le mot, « morales » (au sens intentionnel) est déjà inscrit en nous, il ne reste plus aux neurones miroirs qu’à comparer ce que nous voyons de la gestuelle de l’autre pour en saisir le sens. De fait, en imprimant, sans l’exprimer, une copie des actes moteurs vus (représentation mentale)  on l’incarne (mettre dans sa chair), on se l’approprie, on vit le geste ce qui permet d’en saisir toutes les dimensions. Ainsi, on fabrique en soi une copie immédiate et brève de « l’état d’esprit » de l’autre exprimé par ses gestes.

Finalités des neurones miroirs

On a pu définir trois fonctions principales des neurones miroirs correspondants à des sous-populations de ces neurones, les apprentissages, l’identification de l’intention de l’acte, la compréhension de la composante émotionnelle associée au geste.

Les apprentissages

Peu ou pas efficaces dans la maladie d'Alzheimer, nous passerons dessus.

Les intentions des gestes

Décryptées par les neurones miroirs on comprend les finalités des gestes dont on pourrait être l’objet. Ajuster son attitude à celle de l’autre permet de :

  • Se prémunir d’une agression, d’une attitude hostile ou au contraire s’apprêter à accueillir l’autre si son attitude parait bienveillante.
  • Prévoir et donc anticiper le geste suivant.
  • Rendre le monde moins  incertain et ceci est essentiel pour sa survie.

L’ajustement émotionnel

Pour la colère le temps de réponse indique qu’il n’y a pas d’analyse cognitive, les neurones miroirs la détectent aussitôt car la survie en dépend. La bienveillance est aussi détectée mais elle laisse plus de temps à l’analyse. L’apaisement se transmet aussi et ceci fonde le principe de la communication avec le malade.

Brève histoire des théories organiques de l’empathie.

Si la neuropsychologie nait avec l’accident de Phineas Gage, elle a souffert de la dérive de Gall, créateur de la phrénologie, qui eu l’intuition que le cerveau était organisé en zones dont chacune avait une fonction. Hélas, il leur attribuait, selon les idées de son temps, des fonctions centrées sur les talents ou les valeurs morales ce qui a diabolisé toute idée d’attribuer à une zone cérébrale une valeur attribuée à la morale. Il faudra attendre Rizzolati pour retrouver ces données.

                                                                

A la suite de Rizzolatti, Cheng Ya-Wei (Taiwan) par magnétoencéphalographie a montré que des sujets à qui on faisait visionner une action violente verbalisaient une réaction d’empathie et « allumaient la zone de Broca ». Ceux qui observaient une action neutre émotionnellement, comme d’éplucher des légumes, « n’allumaient pas » cette zone des neurones miroirs[2]. Il en conclut que la fonction d’empathie est supportée par les neurones miroirs. Cette théorie est confortée par Hugo Theoret (Montréal) qui, par stimulation magnétique transcrânienne de la zone de Broca d’un sujet exprimant de l’empathie, montre que la suspension de l’activité des neurones miroirs s’accompagne de la suspension immédiate de la réaction d’empathie. On peut dès lors accepter l’hypothèse que les zones sous-tendant l’empathie et celles des neurones miroirs sont identiques.

La mimique

 « Le nombre et la complexité des expressions faciales, les plus différenciés des signaux visuels, croissent avec le degré d'évolution des espèces », selon Darwin. Percevoir un visage implique deux composantes :

La première concerne l’identification du visage, gérée par le lobe temporal inférieur dont la lésion est responsable de la prosopagnosie, perte de l’aptitude à reconnaitre les visages. Elle se perd à un stade avancé dans la maladie d'Alzheimer quand le patient ne reconnaît plus ses proches.

La seconde composante concerne la capacité à décrypter ce que disent les mouvements du visage, ce que signifie l’expression du visage. Ici, c’est le sulcus temporal supérieur qui s'active spécifiquement pour la perception des mouvements des yeux et de la bouche, fondant l’expression des émotions/intentions de l’autre donc participant grandement à l’empathie. Eckman domine la pensée dans ce domaine, il a inspiré la série Lie To Me.

 

La  gestuelle

Le geste, dans ce qu’on en perçoit immédiatement, avant de l’analyser par d’intelligents discours, nous délivre deux informations :

L’intention de celui qui le fait, avec une précision qui fait prendre le pari de la finalité du geste alors que celui-çi n’est qu’ébauché. Le système des neurones miroirs analyse en finesse tout geste perçu pour le rendre prévisible et anticiper une réaction d’accompagnement ou une éventuelle riposte.

L’émotion, neutre, favorable, défavorable, crainte ou agressivité et autres, est analysé via l’amygdale. L’amygdale est un noyau sous-cortical alors que la maladie touche exclusivement le cortex. Ceci pourrait être l’explication du fait que la « mémoire affective » est conservée même aux stades terminaux de la maladie.

L’activation des neurones miroirs ne pourrait se produire sans la cascade sensorielle habituelle. La vision passe par le lobe occipital et aboutit à une voie finale commune pour décoder selon ces deux composantes (intention, émotion) le geste. Enfin, pour ne pas mimer physiquement ce geste, il faut une inhibition des voies motrices par le lobe frontal et probablement orbito-frontal. Le déficit attentionnel, s’il inaugure la maladie d'Alzheimer, diminue l’efficacité des neurones miroirs.

Empathie et Alzheimer

Ayant posé le cadre de l’empathie vu comme une fonction cérébrale, on peut se demander ce qu’elle devient dans diverses pathologies cérébrales. Dans la maladie d’Alzheimer[3], il y a des arguments forts qui laissent penser que les neurones miroirs sont tardivement atteints :

1/ L’éloignement de la zone de Broca et de l’hippocampe…mais d’autres zones du système des neurones miroirs sont plus proches comme celles qui sont situées sur le sillon temporal supérieur.

2/ La sensibilité des malades à l’attitude de l’entourage (évidence clinique pour tout praticien): on peut longtemps communiquer aux patients des comportements ajustés. Ils sont sensibles à nos angoisses, parfois à nos joies et on peut les calmer en adoptant une attitude confiante, rassurante car rassurée.

Il existe une piste de prise en charge comportementale: la théâtralisation de la relation par les aidants. Elle mérite d’autres études cliniques pour trouver sa validation, ses nuances et ses limites.

Parmi ces limites :

Les âgés se rattachent à un univers très égocentré. Leur identité narrative s’affirme par la nature du discours, racontant sans cesse leur vie, des évènements saillants dont ils furent les témoins ou les acteurs. Dans la maladie d'Alzheimer le « radotage » aurait, au début, une fonction de confortation structurelle de l’identité et de stabilité du monde qui entoure le malade.

L’appauvrissement des codes, leur changement de sens, peut survenir de manière assez précoce dans la maladie d'Alzheimer. La connaissance des codes propres à chacun, qui est un grand atout pour les familles, devient un handicap si elles les considèrent comme figés.

L’ajustement émotionnel est dérégulé chez le malade. Il ne réagit pas toujours de manière appropriée, attendue, à des actions menées par l’entourage, à des évènements de la vie (décès, naissances, attitudes bienveillantes etc.).

 

Comment bien se comporter ?

 

Pour marquer les esprits, donner un fil conducteur facile à mémoriser, pour que chacun puisse s’approprier les « bonnes manières » exposées de façon éparse dans des « fiches conseils », on peut les relier dans une méthode. Le théâtre de la relation les valide et les organise dans un corpus cohérent, de manière systémique. Cependant, la bonne manière de se comporter avec un acteur qui vit son rôle d'Alzheimer ne répond pas à un dogme intangible, à un scenario univoque. Leur principe est exposé aux aidants, ainsi que les conseils généraux, mais en les laissant adapter à leur propre situation la pièce.

 

Rizzollatti cite d’ailleurs, en introduction de son livre Les neurones miroirs (Ed. Odile Jacob), le metteur en scène Peter Brook : «Avec la découverte des neurones miroirs les neurosciences commencent à comprendre ce que le théâtre savait depuis toujours. Le travail de l’artiste n’aurait aucun sens si (…) il ne pouvait partager les bruits et les mouvements de son propre corps avec les spectateurs, en les faisant participer à un événement qu’ils doivent eux-mêmes contribuer à créer. Cette participation immédiate, sur laquelle le théâtre fonde sa réalité et sa légitimité, trouverait ainsi une base biologique dans les neurones miroirs, capables de s’activer aussi bien dans la réalisation d’une action que lors de l’observation de cette même action par d’autres individus ».

L’aidant principal a le « premier rôle ». Le médecin, les autres aidants, les « passants » (amis, intervenants occasionnels) ne sont pas des figurants : ils sont des acteurs essentiels de cette dramaturgie du quotidien[5].

 

Comment évoluera la communication ?

 

Au commencement, la maladie d’Alzheimer est une maladie des apprentissages et nous avons vu que l’hippocampe et le sulcus temporal supérieur  sont très vite atteints. Ceci affecte la capacité à s’adapter à des situations non routinières. Le patient est encore sensible au contenu du discours : on peut, un peu, le raisonner car nos mots ont encore un sens pour lui.

Puis les comportements sociaux se délitent. L’aphasie s’installe et c’est la zone principale des neurones miroirs, l’aire de Broca, qui est impactée. La communication non verbale, plus archaïque, résiste, le patient reconnaît les signes « primordiaux », chargés des émotions informatives, affection, irritation, peur, rejet.

Il faut donc s’habituer précocement à parler avec le corps, accompagner les phrases de gestes qui en précisent le sens, exprimer sa bienveillance. Ce travail de la gestuelle, de l’expression du visage et du paraverbal, qui passe par les neurones miroirs, nous proposons de le nommer « théâtre de la communication». Ce qui impose de s’interroger sur les gestes fondamentaux, les codes de l’espèce, et au-delà les codes communs avec les autres espèces animales. Nous en appelons à l’éthologie pour tenter de mieux définir le « noyau dur », probablement le plus résistant, dans ce naufrage annoncé de la communication.

 

Conclusion

Platon est un des premiers a conceptualiser le phénomène de l’imitation qu’il nomme mimesis. Pourtant, chez lui la mimesis n’est qu’une faculté humaine qui produit des extensions de la vérité idéale dans le monde phénoménal. Digne successeur du philosophe, Ploton a compris que le verbe de chacun était formaté pour être acceptable par l’autre, nommant cette aptitude le dialogisme constructif. Rizzolatti a permis au langage des gestes de faire son entrée dans le vaste univers de la communication non verbale.

La découverte du système des neurones miroirs ouvre des perspectives dans la prise en charge non-médicamenteuse des troubles psycho-comportementaux des patients souffrant de maladie d'Alzheimer. La persistance de ce système jusqu’à un stade avancé de la maladie sera très difficile à prouver car on conçoit mal de lzq immobiliser sous PET-scan pendant la longue durée nécessaire à la réalisation de cet examen et a fortiori de leur faire comprendre des consignes.

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